Ce couple bangladais est arrivé en France en 2015. En 2016, madame donne naissance à leur premier enfant, qui souffre d’un autisme particulièrement grave. Ils obtiennent chacun un titre de séjour en tant qu’accompagnants d’un enfant malade.
L’année suivante, la préfecture refuse de le renouveler.
Ils déposent donc tous deux une demande d’admission exceptionnelle au séjour (AES) en mars 2023.
En avril 2023, madame donne naissance à un second enfant, une petite fille, qui souffre d’un très grave handicap physique. Elle a besoin d’assistance respiratoire. Elle ne pourrait vraisemblablement même pas voyager en avion.
Le couple demande à nouveau la délivrance d’une autorisation provisoire de séjour (AMS) en tant que parent d’enfant étranger malade. Ils l’obtiennent tous deux.
Monsieur travaille pour subvenir aux besoins de sa famille. Madame, elle, ne peut pas travailler car elle doit apporter des soins quotidiens à ses deux enfants.
En avril 2024, plot twist : monsieur obtient un titre de séjour vie privée et familiale (VPF) suite à la demande d’AES déposée un an plus tôt. Madame, elle reçoit un refus de délivrance de titre VPF assorti d’une obligation de quitter le territoire français (OQTF).
Le cabinet introduit un recours en excès de pouvoir contre cette décision en juin 2024. Le 18 novembre 2024, le Tribunal administratif de Paris décide d’annuler les décision du préfet de police et de lui enjoindre de délivrer à notre cliente une carte de séjour VPF :
Vu la procédure suivante :
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 21 juin et 1er octobre 2024,
B , représentée par Me Leloup, demande au tribunal, dans le
Mme dernier état de ses écritures :
1°) d’annuler l’arrêté du 10 mai 2024 par lequel le préfet de police a refusé de lui
délivrer un titre de séjour, l’a obligée à quitter le territoire français dans le délai de trente jours et
a fixé le pays de destination ;
2°) d’annuler la décision orale de refus d’enregistrement de sa demande de
renouvellement d’autorisation provisoire de séjour du 13 juin 2024 ;
3°) d’enjoindre au préfet de police ou au préfet territorialement compétent de lui
délivrer un titre de séjour portant la mention « vie privée et familiale » dans un délai de dix jours
à compter de la notification du jugement à intervenir sous astreinte de 100 euros par jour de
retard ;
4°) à titre subsidiaire, d’enjoindre au préfet de police ou au préfet territorialement
compétent de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour en qualité de parent d’enfant
malade dans un délai de dix jours à compter de la notification du jugement à intervenir sous
astreinte de 100 euros par jour de retard ;
5°) à titre infiniment subsidiaire, d’enjoindre au préfet de police ou au préfet
territorialement compétent de procéder au réexamen de sa situation dans un délai de dix jours à
compter de la notification du jugement à intervenir sous astreinte de 100 euros par jour de
retard et de lui délivrer, dans l’attente, une autorisation provisoire de séjour ou un récépissé dans
un délai de trois jours ;N° 2416852 2
6°) de mettre à la charge de l’Etat la somme de 2 000 euros au titre de l’article
L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
Sur les moyens communs à l’ensemble des décisions contestées :
- l’arrêté contesté est entaché d’incompétence de son signataire ;
- il est insuffisamment motivé et est entaché d’un défaut d’examen.
Sur la décision portant refus de titre de séjour :
- elle est entachée d’erreur de fait ;
- elle méconnaît les dispositions de l’article L. 435-1 et de l’article L. 423-23 du code de
l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile ;
- elle méconnaît les stipulations des articles 3 et 8 de la convention européenne de
sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;
- elle méconnaît les stipulations de l’article 3-1 de la convention internationale des
droits de l’enfant ;
- elle est entachée d’une erreur manifeste d’appréciation de ses conséquences sur sa
situation personnelle.
Sur la décision portant obligation de quitter le territoire français :
- elle est illégale, par voie d’exception, en raison de l’illégalité de la décision de refus de
titre de séjour ;
- elle est entachée d’un défaut d’examen ;
- elle méconnaît les dispositions de l’article L. 613-1 du code de l’entrée et du séjour
des étrangers et du droit d’asile ;
- elle méconnaît les stipulations des articles 3 et 8 de la convention européenne de
sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;
- elle méconnaît les stipulations de l’article 3-1 de la convention internationale des
droits de l’enfant ;
- elle est entachée d’une erreur manifeste d’appréciation de ses conséquences sur sa
situation personnelle.
Sur la décision orale de refus d’enregistrement de sa demande de renouvellement
d’autorisation provisoire de séjour du 13 juin 2024 :
- elle est entachée d’incompétence de son auteur ;
- elle est entachée d’une erreur de droit ;
- elle est entachée d’une erreur manifeste d’appréciation.
Par un mémoire en défense, enregistré le 17 juillet 2024, le préfet de police, représenté
par la SELARL Centaure Avocats, conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir que les moyens soulevés par la requérante ne sont pas fondés.
Par une ordonnance du 6 septembre 2024, la clôture de l’instruction a été fixée au
7 octobre 2024.N° 2416852 3
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention internationale des droits de l’enfant ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés
fondamentales,
- le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile,
- le code des relations entre le public et l’administration,
- le code de justice administrative.
La présidente de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa
proposition, de prononcer des conclusions à l’audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.
Ont été entendus au cours de l’audience publique :
- le rapport de Mme Guglielmetti,
- et les observations de Me Silvestre.
Considérant ce qui suit :
1. Mme B , ressortissante bangladaise, née le 1991, entrée
en France le 8 novembre 2015 selon ses déclarations, a sollicité le 10 mars 2023 la délivrance
d’un titre de séjour sur le fondement des dispositions des articles L. 435-1 et L. 423-23 du code
de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile. Par un arrêté du 10 mai 2024, le préfet
de police a rejeté sa demande, l’a obligée à quitter le territoire français dans un délai de trente
jours, a fixé le pays de destination. Elle demande l’annulation de cet arrêté ainsi que de la
décision de refus d’enregistrement de sa demande de renouvellement d’autorisation provisoire de
séjour.
Sur les conclusions à fins d’annulation de l’arrêté du 10 mai 2024 :
2. Aux termes de l’article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de
l'homme et des libertés fondamentales : « 1° Toute personne a droit au respect de sa vie privée
et familiale, de son domicile et de sa correspondance ; (…) ». Aux termes de l’article 3-1 de la
convention internationale relative aux droits de l’enfant : « Dans toutes les décisions qui
concernent les enfants, qu’elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection
sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l’intérêt
supérieur de l’
enfant doit être une considération primordiale. ». Il résulte de ces stipulations, qui
peuvent être utilement invoquées à l’appui d’un recours pour excès de pouvoir et sont
applicables non seulement aux décisions qui ont pour objet de régler la situation personnelle
d’enfants mineurs mais aussi à celles qui ont pour effet d’affecter, de manière suffisamment
directe et certaine, leur situation, que, dans l’exercice de son pouvoir d’appréciation, l’autorité
administrative doit accorder une attention primordiale, dans toutes les décisions les concernant, à
l’intérêt supérieur des enfantsN° 2416852 4
3. Il ressort des pièces du dossier que Mme B réside en France
depuis l’année 2018, soit depuis environ sept ans à la date de la décision attaquée. Elle est la
mère de deux enfants, A et Al , nés respectivement le 2016 et le 2023
sur le territoire français. La requérante est mariée depuis le 2013 avec un compatriote qui
réside régulièrement sur le territoire français, en dernier lieu sous couvert d’une carte de séjour
« vie privée et familiale » valable jusqu’au 15 avril 2025, et qui exerce une activité
professionnelle de conducteur de voiture de transport avec chauffeur (VTC) au sein de sa propre
société. Il ressort également des pièces du dossier que le fils aîné, A , scolarisé en France
depuis 2019, présente un trouble grave du spectre autistique à l’origine d’un retard de
développement au regard duquel il a été admis au sein de l’institut médico-pédagogique (IMP)
de Belleville le 23 mai 2024 pour poursuivre sa scolarité, son taux d’incapacité ayant été fixé
entre 50 et 79 % par la MDPH de Paris. De plus, il ressort de plusieurs attestations en date du
11 juillet 2022 et du 10 juin 2024 d’un pédopsychiatre assurant son suivi au sein du GHU Paris
« Pychiatrie et neurosciences – Maison Blanche » que son autisme sévère « nécessite des soins
pluri-hebdomadaires au CMP, lesquels ont débuté en décembre 2021, sans interruption et sans
limitation de durée vu la gravité des troubles et que ces soins nécessitent la présence et la
participation active de la mère à chaque séance, ce qu’elle honore de façon systématique ». En
outre, il ressort des pièces du dossier que la fille de la requérante, Al , est porteuse d’une
pathologie génétique appelée syndrome de Joubert associée à une polymicrogynie bilatérale
nécessitant un appareillage (oxygénothérapie et sonde de nutrition), un traitement médical et un
suivi multidisciplinaire spécialisé et prolongé, qu’elle poursuit depuis sa naissance et à la date de
la décision attaquée, au sein de l’hôpital Robert Debré pour une durée de plusieurs années. Par
une décision de la maison départementale des personnes handicapées de Paris du 24 avril 2024,
cette enfant a été reconnue handicapée et son taux d’incapacité a été fixé à plus de 80%. Il ressort
des pièces médicales du dossier que la présence de sa mère à ses côtés en continu est requise
pour assurer les soins du quotidien du fait de son hospitalisation à domicile. Par ailleurs, il
ressort de l’avis du collège de médecins de l’OFII en date du 21 novembre 2023 sur le dossier de
Mme Al qu’elle ne peut bénéficier effectivement d’une prise en charge et d’un
traitement approprié dans son pays d’origine eu égard à l’offre de soins et aux caractéristiques du
système de santé. Enfin, si le préfet de police conteste en défense que la requérante maîtrise la
langue française, il ressort des pièces du dossier, et notamment d’une attestation en date du 28
juin 2024, postérieure à la décision attaquée mais révélant une situation antérieure, que « la
famille parle correctement le français et est compréhensible aussi bien lors d’échanges
téléphoniques qu’en visu ». Dans ces conditions, du fait de l’ancienneté de son séjour en France
et de sa pleine implication dans l’éducation et les soins de ses enfants attestée par les différentes
pièces de suivi médical du dossier, en refusant le séjour à Mme B et en
prononçant à son encontre une mesure d’éloignement, le préfet de police a porté une atteinte
disproportionnée au droit de Mme B de mener une vie privée et familiale
normale au regard des buts en vue desquels ces décisions ont été prises ainsi qu’à l’intérêt
supérieur de ses enfants, protégés par les stipulations précitées.
4. Il résulte de ce qui précède, sans qu’il soit besoin de se prononcer sur les autres
moyens de la requête, que la décision portant refus de séjour du 10 mai 2024 prononcée à
l’encontre de Mme B doit être annulée. Il en est de même, par voie de conséquence, de la
décision portant obligation de quitter le territoire français et celle fixant le pays de renvoi.N° 2416852 5
Sur les conclusions à fin d’annulation des décisions de refus d’enregistrement de sa
demande de renouvellement de son autorisation provisoire de séjour :
5. Aux termes de l’article R. 431-10 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du
droit d’asile : « L’étranger qui demande la délivrance ou le renouvellement d’un titre de séjour
présente à l’appui de sa demande : / 1° Les documents justifiants de son état civil ; / 2° Les
documents justifiants de sa nationalité ; / 3° Les documents justifiants de l’état civil et de la
nationalité de son conjoint, de ses enfants et de ses parents lorsqu’il sollicite la délivrance ou le
renouvellement d’un titre de séjour pour motif familial. / La délivrance du premier récépissé et
l’intervention de la décision relative au titre de séjour sollicité sont subordonnées à la
production de ces documents ». L’article R. 431-11 de ce code dispose que « L’étranger qui
sollicite la délivrance d’un titre de séjour présente à l’appui de sa demande les pièces
justificatives dont la liste est fixée par arrêté annexé au présent code ». Enfin, selon l’article
R. 431-12 du même code : « L’étranger admis à souscrire une demande de délivrance ou de
renouvellement de titre de séjour se voit remettre un récépissé qui autorise sa présence sur le
territoire pour la durée qu’il précise. Ce document est revêtu de la signature de l’agent
compétent ainsi que du timbre du service chargé, en vertu de l’article R. 431-20, de l’instruction
de la demande. / Le récépissé n’est pas remis au demandeur d’asile titulaire d’une attestation de
demande d’asile ».
6. Il résulte de ces dispositions qu’en dehors du cas d’une demande à caractère abusif ou
dilatoire, l’autorité administrative chargée d’instruire une demande de titre de séjour ne peut
refuser de l’enregistrer, et de délivrer le récépissé y afférent, que si le dossier présenté à l’appui
de cette demande est incomplet.
7. En l’espèce, la requérante soutient sans être contredite s’être rendue à la préfecture de
police le 13 juin 2024 en présence de son conseil afin de déposer une demande de
renouvellement de son autorisation provisoire de séjour en qualité de parent d’enfant malade et
avoir fait l’objet d’un refus d’enregistrement de sa demande et d’instruction de son dossier au
motif qu’une obligation de quitter le territoire français avait été édictée à son encontre le 10 mai
2024. Toutefois, cette circonstance ne saurait caractériser une demande abusive ou dilatoire et
ce, dès lors que le préfet ne conteste pas que la demande de titre de séjour était complète. Dans
ces conditions, les dispositions de l’article R. 431-12 du code de l’entrée et du séjour des
étrangers et du droit d’asile ont été méconnues.
8. Il résulte de ce qui précède, et sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens
soulevés, que la décision orale du 13 juin 2024 par laquelle le préfet de police a refusé
d’enregistrer la demande de renouvellement de l’autorisation provisoire de séjour de
doit être annulée.
Sur les conclusions aux fins d’injonction et d’astreinte :
9. Eu égard aux motifs du présent jugement, il y a lieu d’enjoindre au préfet de police
ou à tout autre préfet territorialement compétent de délivrer un titre de séjour portant la mention
« vie privée et familiale » à Mme B dans un délai de trois mois à compter
de la notification du présent jugement, sous réserve de changement de circonstances de fait ou de
droit. Il n’y a pas lieu d’assortir cette injonction d’une astreinte.
Mme B N° 2416852 6
Sur les frais liés au litige :
10. Il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge de l’État, partie
perdante, une somme de 1 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice
administrative.
D E C I D E :
Article 1er : Les décisions du préfet de police du 10 mai et du 13 juin 2024 sont annulées.
Article 2 : Il est enjoint au préfet de police ou à tout autre préfet territorialement compétent de
délivrer un titre de séjour portant la mention « vie privée et familiale » à Mme B
dans un délai de trois mois à compter de la notification du présent jugement.
Article 3 : L’État versera à Mme B la somme de 1 000 euros au titre de
l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 5 : Le présent jugement sera notifié à Mme de police.
B et au préfet
Délibéré après l'audience du 24 octobre 2024, à laquelle siégeaient :
Mme Salzmann, présidente,
Mme Armoët, première conseillère,
Mme Guglielmetti, conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 18 novembre 2024.1 juillet 20
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