
Vu la procédure suivante :
Par une requête et deux mémoires, enregistrés les 27 février, 21 avril et 8 décembre 2023, Mme , représentée par Me Leloup , demande au tribunal :
1°) d’annuler l’arrêté du 22 décembre 2022 par lequel la préfète de la Gironde lui a retiré le titre de séjour dont elle était titulaire ;
2°) d’enjoindre, à titre principal, à la préfète de la Gironde de lui délivrer un certificat de résidence algérien mention « vie privée et familiale » ou « salarié » dans un délai de quinze jours à compter de la notification du jugement à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;
3°) d’enjoindre, à titre subsidiaire, à la préfète de la Gironde, de procéder au réexamen de sa situation administrative dans un délai de quinze jours à compter de la notification du jugement à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard, et de lui délivrer, dans l’attente de ce réexamen, une autorisation provisoire de séjour l’autorisant à travailler ;
3°) de mettre à la charge de l’Etat une somme de 1 800 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Mme soutient que :- la décision de retrait est entachée d’incompétence ;- elle a été prise en méconnaissance du principe du contradictoire dès lors qu’elle n’a
pas pu faire valoir ses observations ;- elle est insuffisamment motivée ;
- elle est entachée d’un défaut d’examen particulier de sa situation ;
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
Le tribunal administratif de Melun (6ème chambre)
N° 2301979 2
- elle méconnaît les stipulations de l’accord franco-algérien du 27 décembre 1968 dès lors que les dispositions du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et en particulier celles de l’article L. 423-17 ne sont pas applicables d’une part, et que la fraude invoquée n’est pas établie d’autre part ;
- elle méconnaît les stipulations de l’article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- elle est entachée d’une erreur manifeste d'appréciation.
Par un mémoire en défense, enregistré le 10 novembre 2023, le préfet de la Gironde conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir que les moyens soulevés par Mme ne sont pas fondés.
Par ordonnance du 15 janvier 2024, la clôture d'instruction a été reportée au 30 janvier 2024 à 12 heures.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;
- l’accord franco-algérien du 27 décembre 1968 ;- le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile ; - le code des relations entre le public et l’administration ;- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement à dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de conclure dans cette affaire en application des dispositions de l’article R. 732-1-1 du code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.
Ont été entendus au cours de l’audience publique :- le rapport de Mme Seignat ;- et les observations de Me Leloup, représentant Mme .
Considérant ce qui suit :
1. Mme , ressortissante algérienne née le 19 octobre 1988, est entrée en France le 18 février 2021, sous couvert d’un visa de type D portant la mention « regroupement
familial OFII »24 février 2020 résidence algérien, sur le fondement de l’article 7 bis d) de l’accord franco-algérien du 27 décembre 1968 et valable jusqu’au 25 mai 2021. Par arrêté du 22 décembre 2022, la préfète de la Gironde lui a retiré le certificat de résidence algérien de dix ans dont elle était titulaire sur le fondement d’une fraude au mariage et lui a enjoint de restituer ce titre.
valable du 15 février au 16 mai 2021, après qu’il ait été fait droit le
à la demande de . Mme
regroupement familial présentée par son époux, a été mise en possession, le 9 juin 2021, d’un certificat de
Sur les conclusions à fin d’annulation :
2. Il ressort des termes de la décision attaquée que, pour retirer le certificat de résidence algérien de Mme , la préfète de la Gironde s’est fondée sur le caractère frauduleux de son mariage avec M. , lequel aurait été contracté dans le but faciliter l’obtention d’un certificat de résidence.
3. D’une part, la situation de Mme est entièrement régie par les dispositions de l’accord franco-algérien du 27 décembre 1968. Dès lors les dispositions de l’article L. 423-17 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ne sont pas applicables à sa situation. Toutefois, Mme ne peut utilement se prévaloir de la méconnaissance des dispositions de l’accord franco-algérien, alors qu’il ressort des termes de la décision litigieuse que la préfète de la Gironde n’a pas fondé sa décision sur les dispositions précitées du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile mais qu’elle a fait usage du pouvoir général qu’elle détient, en l’absence de dispositions expresses sur le retrait du titre dans l’accord franco-algérien, de procéder au retrait d’une décision individuelle créatrice de droit obtenue par fraude. De même, à supposer que le préfet de la Gironde ait entendu solliciter la substitution de ces dispositions de l’article L. 423-17 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile à son pouvoir général de retrait d’une décision obtenue par fraude, une telle substitution de base légale ne peut être accordée dès lors que ces dispositions du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ne s’appliquent pas aux ressortissants algériens.
4. D’autre part, aux termes de l’article 7 bis de l’accord franco-algérien du 27 décembre 1968 : « (...) le certificat de résidence valable dix ans est délivré de plein droit sous réserve de la régularité du séjour pour ce qui concerne les catégories visées au a), au b), au c), et au g) (...) /d) aux membres de la famille d’un ressortissant algérien titulaire d’un certificat de résidence valable dix ans qui sont autorisés à résider en France au titre du regroupement familial ; (...) ». En l’absence de stipulations expresses sur ce point prévues par l’accord franco- algérien précité, le préfet peut légalement faire usage du pouvoir général qu’il détient, même en l’absence de texte, pour retirer une décision individuelle créatrice de droits obtenue par fraude. L’administration doit cependant rapporter la preuve de la fraude, et non la requérante, dont la bonne foi se présume.
5. Il ressort des pièces du dossier que Mme a épousé, le 14 août 2019 à Tiaret en Algérie, un compatriote résidant régulièrement sur le territoire français et qu’elle a obtenu, le 9 juin 2021, un certificat de résidence algérien valable du 26 mai 2021 au 25 mai 2031, après qu’il ait été fait droit, le 24 février 2020, à la demande de regroupement familial formée par son époux le 8 octobre 2019. Le préfet fait valoir que la rupture de la vie commune est intervenue le 12 septembre 2021, trois mois seulement après l’obtention par la requérante de son titre de séjour. Le préfet avance également que, par un courrier du 30 septembre 2021, M. a fait état de trois plaintes successives déposées à l’encontre de la requérante, de l’engagement d’une procédure de divorce ainsi que de ses soupçons de « mariage gris », celui-ci considérant que son épouse avait changé de comportement dès l’obtention du titre de séjour. Toutefois, ces seuls éléments ne sont pas de nature à établir la réalité de la fraude évoquée alors qu’il ressort par ailleurs des pièces du dossier que le couple était marié depuis près de deux ans à la date de la remise du titre de séjour litigieux, a eu une résidence commune, dans l’appartement de M. , dès l’arrivée en France, à compter du mois de février 2021 jusqu’au 12 septembre 2021, soit pendant plus de six mois. En outre, il n’est pas contesté que c’est suite au changement d’adresse signalé en septembre 2022 par la requérante aux services de la préfecture, que ceux-ci ont engagé la procédure contradictoire tendant au retrait du titre de séjour. Enfin, s’il ressort des pièces du dossier que M. a déposé trois plaintes au mois de septembre 2021 pour des faits de violences et de dégradations à l’encontre de son épouse, la requérante a également déposé deux mains-courantes à la même période pour signaler que son époux l’avait chassée du domicile, suite à une dispute, et conteste la version des faits de son époux. Enfin, le préfet ne fait pas état des suites données par l’autorité judiciaire au signalement de M. et ne conteste pas les photos et échanges de SMS, produits par la requérante, attestant des relations entretenues avec son compagnon avant la séparation. Dans ces conditions, la seule circonstance que la séparation du couple ait été conflictuelle et qu’elle soit intervenue trois mois après la remise effective du titre de séjour délivré à Mme ne saurait suffire à établir le caractère frauduleux du mariage. Par suite, en retirant le certificat de résidence au motif que celui-ci avait été obtenu frauduleusement, la préfète de la Gironde a entaché son arrêté d’une erreur de droit.
6. Il résulte de ce qui précède que Mme est fondée à demander l’annulation de l’arrêté du 22 décembre 2022 par lequel la préfète de la Gironde a retiré son certificat de résidence algérien.
Sur les conclusions à fin d’injonction :
7. Compte tenu de l’objet de l’arrêté attaqué et du sens du présent jugement, qui annule le retrait du certificat de résidence algérien de Mme valable du 26 mai 2021 au 25 mai 2031, celui-ci n’implique aucune mesure d’exécution. Par suite, les conclusions de la requérante tendant à la délivrance d’un nouveau titre de séjour sous astreinte ou, à défaut, au réexamen de sa situation, doivent être rejetées.
Sur les frais du litige :
8. Il y a lieu de mettre à la charge de l’État, partie perdante, une somme de 1 200 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
DECIDE :
Article 1er : L’arrêté de la préfète de la Gironde du 22 décembre 2022 est annulé.
Article 2 : L’État versera à Mme la somme de 1 200 euros au titre de l’article L. 761-1
du code de justice administrative.Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 4 : Le présent jugement sera notifié à Mme et au préfet de la Gironde. Copie en sera adressée au ministre de l’intérieur et des outre-mer.
Délibéré après l'audience du 10 septembre 2024, à laquelle siégeaient :
M. Dewailly, président ; Mme Iffli, conseillère ; Mme Seignat, conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 24 septembre 2024.
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