Les termes « dublinés » et « dublinées » sont désormais entrés dans le langage courant. Ils font référence aux demandeurs d’asiles pour lesquels la France n’est pas responsable de leur demande, en général parce qu’ils sont passés par un autre pays de l’Union Européenne avant d’arriver sur le sol de la république.
Cette règle édictée dans la Convention dite de Dublin III en 2013 signe l’abandon à leur sort des pays méditerranéens (l’Italie, la Grèce notamment) face à l’afflux de réfugiés provenant de pays en guerre.
En pratique, après consultation d’un fichier (Eurodac ou Visabio) les demandeurs d’asile sont renvoyés dans le pays européen dans lequel leurs empreintes digitales ont été relevées pour la première fois, ou bien qui leur avait accordé un visa.
Mais, et c’est là que les choses se corsent, la France a un délai de six mois pour renvoyer le demandeur d’asile à compter de la date de la décision de prise en charge du pays tiers. Et la France n’ayant pas les moyens de ses ambitions (une expulsion Dublin coûte en moyenne 13.500€, ce qui fait un budget de 48 millions d’euros pour expulser 3533 personnes en 2018), il est fréquent que le délai de six mois expire sans que le demandeur d’asile ait été expulsé. Ce dernier peut alors déposer valablement une demande d’asile en France.
Le délai de six mois commence à courir à partir de la date de prise en charge – sauf si le dubliné a fait un recours contre l’arrêté du préfet ordonnant son renvoi dans le pays tiers, auquel cas le délai commence à courir à compter de la date de la décision du tribunal administratif. Ces recours sont souvent en pure perte, la loi étant la loi, mais permettent à l’Etat français de gagner du temps, et de maximiser ainsi ses chances de pouvoir expulser l’étranger. Combien de fois ai-je rencontré en permanence des demandeurs d’asile qui me racontent avoir fait un recours car l’employé de la préfecture leur avait dit qu’ils devaient absolument aller contester cette décision le jour même en se rendant seuls au greffe du tribunal, sans même avoir pu consulter un avocat ou une association qui aurait pu les conseiller ?
Par ailleurs, si l’administration estime que l’étranger est « en fuite » - le délai de six mois devient alors un délai de 18 mois. La fuite, pour les préfectures, c’est avoir loupé ne serait-ce qu’un rendez-vous. Même si vous étiez malade. Même pendant les grèves de transport de cet hiver. Même si vous êtes venu, mais que vous étiez un peu en retard. Même si vous êtes venu, que vous avez attendu, mais que vous êtes reparti au bout de 3 heures car vous aviez autre chose à faire. Et puis parfois, la fuite, c’est gratuit, c’est pour rien. Vous n’avez rien fait mais bon, ça coute rien de vous mettre en fuite, les chances que l’étranger consulte une association, trouve un avocat, fasse un recours, puisse démontrer qu’il a été irréprochable, obtienne gain de cause – sont très minces.
Dix-huit mois, c’est long. C’est encore plus long quand on est sans papier, sans droit, sans hébergement, sans autorisation de travailler, à la merci des abuseurs, des marchands de sommeil, des mafias, de la drogue. Chaque semaine, nous voyons ressortir des ténèbres de la rue ces revenants, qui réapparaissent à nous après avoir passé ces dix-huit mois dans la clandestinité. Sur leurs visages on lit à la fois le poids de ces dix-huit mois, et la joie de pouvoir (enfin) déposer une demande d’asile en France pays dont ils parlent peut-être la langue, ou bien pays dans lequel se trouvent leur famille, leurs amis.
Tout ça pourquoi au final ? Au final, seulement 12% des Dublinés (en 2018) sont expulsés. Mais Dublin, ça signifie également que des pays européens transfèrent vers la France des demandeurs d’asile. A titre d’exemple, en 2017, la France a dû recevoir 1636 étrangers – alors qu’elle en avait elle-même renvoyé 2633 vers des pays tiers. On voit bien toute l’absurdité de ce système. En 2019, M. Macron parlait de la nécessité d’être « humain et efficace » en matière d’immigration. Force est de constater que le règlement Dublin est à la fois inhumain et inefficace.
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